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Si se moquer de John McCain est permis, caricaturer son rival démocrate à la Maison-Blanche est plus délicat, notamment en raison de sa couleur de peau. Un magazine en vue vient d'en faire les frais. Le sénateur de l'Illinois serait-il au dessus de toute plaisanterie, se demande The New York Times.
Qu'est-ce qu'a de si drôle Barack Obama ? Aparemment pas grand-chose, du moins pour le moment. Le magazine The New Yorker s'est, lundi [14 juillet], essayé à la satire en représentant en couverture M. Obama, le candidat démocrate à la présidentielle, et sa femme, se tapant dans le poing dans le Bureau ovale, vêtus en terroristes adorateurs de Ben Laden tandis qu'un drapeau américain brûle dans la cheminée. Les réactions ont été explosives du côté des démocrates comme de celui des républicains.
Les choses ne sont pas non plus faciles pour tous ces présentateurs d'émissions télévisées de fin de soirée dont les monologues reposent en bonne partie sur la mise en boîte des personnalités politiques. Jay Leno, David Letterman, Conan O'Brien et d'autres ont balancé toute une série de plaisanteries sur le candidat républicain, chacune d'entre elles étant une variante du même thème : John McCain est vieux.
Mais on ne plaisante pas vraiment sur Barack Obama, sur son âge, son éloquence, son intelligence, sa famille, son physique. Et, dans ce paysage qui se caractérise par une majorité de présentateurs blancs, d'auteurs blancs et par un public en très grande majorité blanc, nul ou presque n'a abordé le thème de sa couleur de peau.
Si on a plaisanté sur ce que Hillary Clinton pensait vraiment de M. Obama pendant les primaires et sur les commentaires vulgaires que le révérend Jesse Jackson avait faits sur lui la semaine dernière, les vagues tentatives de plaisanterie qui ont été faites sur M. Obama lui-même sont en revanche tombées à plat.
Il ne fait aucun doute que le public de ces émissions (et au moins certains des auteurs) semble favorablement disposé envers M. Obama, ce qui le rend peut-être plus réfractaire aux plaisanteries à son égard qu'à celles sur la plupart des autres candidats. "Il y a un tas de gens qui sont tout excités par sa candidature", explique Mike Sweeney, de l'émission de Conan O'Brien. "C'est comme s'ils disaient : 'Hé ! ne vous en prenez pas à ce type. C'est un nouveau visage ; facilitez-lui les choses.'"
Bien sûr, la race explique aussi pourquoi M. Obama échappe autant à la satire. "Si une tirade présente le moindre soupçon de racisme, personne ne rira", déclare Bob Burnett, producteur exécutif de l'émission de David Letterman. "Le public ne permettra à personne de faire ce genre de plaisanterie."
Le New Yorker s'est heurté à une hostilité d'un genre différent avec sa une de cette semaine. L'équipe Obama l'a violemment critiquée. Bill Burton, le porte-parole du candidat, a déclaré que la plupart des lecteurs la considéreraient comme "de mauvais goût et insultante", et que l'équipe était de cet avis. M. McCain l'a trouvée "totalement indécente" et il a précisé qu'il comprendrait que le sénateur Obama la juge insultante.
David Remnick, le rédacteur en chef du New Yorker, explique dans un courriel : "Cette couverture met les distorsions, les mensonges et les interprétations erronées qui courent sur les Obama face à un miroir pour montrer ce qu'elles valent." "Si on ne peut pas faire d'ironie en couverture du New Yorker, où peut-on en faire ?" demande Bill Maher, qui présente une émission politiquement orientée sur la chaîne HBO.
Les choses seraient peut-être un peu différentes si l'un au moins des présentateurs était noir. Les humoristes noirs n'ont aucun problème à plaisanter sur M. Obama, déclare David Alan Grier, un humoriste qui présentera un magazine d'information satirique intitulé Chocolate News à partir du mois d'octobre. "Ces types ne peuvent pas faire ça", dit-il des présentateurs des émissions de fin de soirée. "C'est comme les humoristes gays : il n'y a qu'eux qui puissent faire des blagues sur les gays. Ça fait partie du jeu."
Jimmy Kimmel, qui présente le Jimmy Kimmel Live sur ABC, déclare de M. Obama : "Il y a une sorte de racisme inversé à son égard. On ne peut pas plaisanter sur lui parce qu'il est à moitié blanc. C'est idiot. Je crois que le problème, en fait, c'est qu'il est complètement lisse, il ne semble pas avoir le moindre défaut." Et d'ajouter : "On devrait se moquer de ses oreilles." La plupart des émissions de fin de soirée semblent être du même avis. "Nous ne pouvons pas fabriquer une perception. Si la perception n'est pas vraie, personne ne rira", explique M. Burnett, du David Letterman Show. "Nous espérons qu'il choisira un idiot comme vice-président", confie M. Sweeney.
Bill Carter, avec Richard Perez-Pena et Jeff Zeleny
The New York Times